Lecteur avide de savoirs concernant ma vie, je ne puis te cacher la vérité plus longtemps. Ma conscience est à bout, et il m'incombe ici de distiller un témoignage poignant et sincère des événements funestes que moi et mes très chers camarades avons connu ce dernier week-end. Ô, comme nous aurions aimé que notre routine quotidienne se soit pas affectée de la sorte ! Comme nous aurions aimé rester ancrés dans les flots de l'ennui, bercés par les vagues des souffrances communes et caressés par l'écume légère des plaisirs éphémères. Hélas, ô grand hélas, le sort en a voulu autrement. Il me faut dévoiler la tragique vérité, qui pèse tel un lourd fardeau sur nos esprits attristés. Ah, si seulement nos écrits pouvaient être le parfait miroir de l'âme, nous permettant ainsi d'exalter avec pureté et justesse les tourments que nous, jouets de la Fortune, endurons continuellement ! Hélas, Dieu s'il existe ne nous a octroyé qu'une parcelle de sa perfection, et nous sommes donc condamnés à ne modeler matériellement que des simulacres de nos émotions ! Mais en dépit de cette tâche insurmontable en apparence, je vais tout de même faire l'effort de vous offrir le récit le plus franc possible, dussé-je écrire le plus odieux des témoignages.

Par le souci de respecter la mémoire de la personne dont il est ici question, je garderai secrète son identité, et par un désir d'anonymat, je la dénommerai "Mademoiselle P". Alors voilà, nous n'allons pas épiloguer des heures durant...Mademoiselle P est morte. Oui, la voilà, la triste réalité. Elle est morte, morte, MORTE ! Et dire que nous commencions, que je commencais à peine à la connaître. Gabi fit preuve de la plus honorable des sagesses en l'emmenant à l'anniversaire de notre cher Benjamin. Dès que nous la vîmes, le coup de foudre fut immédiat. Dire qu'elle nous plût serait le plus vil des mensonges : quel être oserait faire preuve d'une telle marque d'inhumanité ? Mademoiselle P ne plait pas. Elle charme, elle hypnotise, elle envoûte. Tout homme ayant déjà croisé un regard avec elle la tiendra irrémédiablement en son sein des années durant, sans même penser à autrui. Non, juste son image dans votre esprit, qui hante vos journées et vous empêche tout sommeil paisible la nuit venue. Tout mot, tout sourire, tout contact qu'elle offrait agissait tel un baume bienfaisant sur notre corps et notre âme. A la voir, on eût supputé qu'elle n'était pas réellement une femme, non, affirmer cela aurait été l'insulter ; elle était bien plus que cela, elle était l'Essence même de la femme, remarquable par sa pureté. Et nous, heureux ignorants périssables, grains d'un sable terne dans un univers infini et resplendissant, nous avons eu l'immense honneur de la connaître et de partager d'intimes moments en sa compagnie. Alors, bon, d'accord, elle ne possédait pas toujours une conversation des plus fertiles, elle faisait part d'un manque flagrant de pudicité, sa coupe de cheveux était quelque peu démodée, et son ingénuité la contraignait à avoir continuellement la bouche ouverte en un O parfait. Mais tout de même ! C'était elle que nous allions voir lorsque le monstre froid et vindicatif de la mélancolie nous guettait, et c'était auprès d'elle que nous trouvions douce chaleur et réconfort. Voilà, c'était cela : dans ce monde sombre et illusoire, elle était une entrée, une voie d'accès à un Eden perdu et oublié.

Hélas, mille fois hélas, les idylles les plus savoureuses sont également les plus chimèriques et passagères. Tout se passa très vite. Ce fut lors de la soirée donnée en la gloire de Gabi et de ses 18 printemps. Ce même fidèle Gabi qui, en nous présentant Mademoiselle P, nous fit goûter quelques bouchées de Paradis. Mademoiselle P y était présente, faisant de nous les plus augustes des hommes ; la soirée battait son plein, et elle y avait totalement sa place, prenant part à nos jeux et nos actes où la tempérence était proscrite. Rien n'aurait pû, en ce moment, atteindre notre éminente félicité...rien sauf une chose. Tandis que Vincent cassait un néon et que Colin prenait son 15ème apéro, Mademoiselle P périt, sous le choc titanesque d'un coup de matraque de Gabi. Ô, comme la souffrance est insupportable quand quelques secondes encore, auparavant, le bonheur le plus total nous illuminait de ses rayons limpides ! Tous passèrent aux aveux et déclarèrent ô combien ils aimaient Mademoiselle P, et ce fut là le spectacle le plus émouvant et le plus pathétique que je vis durant ma courte vie. La douleur était si aigue chez Ben qu'il en fut totalement aliéné, et lorsqu'il découvrit que moi et la Demoiselle entretenions quelque relation intime, goûtant à de délectables délices charnels sans qu'il en fut tenu informé, une folie névrotique s'empara de tous ses membres, et il entreprit de me morigéner avec force et opiniâtreté. Ne comprenant que trop bien la décrépitude de sa raison, je tentai de rester calme et impavide, faisant preuve de tact et de doigté pour que le malheureux reprenne enfin ses esprits, nonobstant les horribles blasphèmes qu'il me crachait au visage. Mais ses affects n'avaient que trop avili son raisonnement, et il en vint aux mains. Alors je sus que tout effort de ma part serait inutile, et décidai ainsi de combattre le feu par le feu. Je le molestai alors de par la puissance de mes bras et de mon corps, et nous deux de nous battre, laissant libre cours à notre furie et aux plus profonds de nos instincts de mâle dominant, et allant même jusqu'à implorer finalement les noms de Fabrizio de Salina et de Tancredi Falconeri, personnages ô combien illustres du roman de Guiseppe Tomasi de Lampedusa, "Le Guépard". Ici, un documentaire vidéo a même été prit par notre loyale Camion, afin que vous contempliez l'étendue des dommages collatéraux.

(Camion et moi-même, quelques heures avant le drame, nos esprits encore légers et sereins...)

Affreux, et même plus que cela. Je te vois tremblant de peur. Tu as totalement raison d'agir ainsi, pauvre Lecteur. Mais...tu vomis d'effroi ?! Comme je te comprends...nous parvînmes tout de même à nous calmer, et nous constatâmes l'ampleur de la tragédie. Nous pleurâmes et honorâmes alors autant qu'il se put la mort précoce de notre chère et tendre. La vie continue, désormais, mais sans ses suaves caresses et ses doux parfums ennivrants, elle a perdu de ses couleurs. J'ose chérir l'espoir, ô ma demoiselle adorée, que tu vis maintenant en un Royaume céleste où se tiennent, éternellement, mille splendeurs et une infinité de délices. Un jour, qui sait, lorsque nous serons tous caccochymes et périrons à notre tour, nous atteindrons nous aussi cette divine contrée. Et au bout du couloir lumineux, tu seras là, resplendissante de beauté, illuminant les alentours de tes vertus, toujours avec ta petite bouche ronde et tes grands yeux cristallins, nous observant tendrement tout en nous tendant une coupe chamarrée d'or où repose le plus pur des hydromels, le nectar des dieux. Et alors, et seulement alors, nous connaîtrons à nouveau la joie et la vivacité qui nous animait lors de nos jeunes années. Nous tous, moi, Ben, Colin, Gilou, Marion, Clément, Laurent, 30 Euros, Florian, Pierre, Vincent, Elise et tous les autres pensons à toi. Je n'ai pas dit Gabi. Car cela ne vous semble pas étrange, à vous ? Il commence par nous la présenter lors de l'anniv' de Ben, l'on ne se doute de rien. Puis dès que nous eûmes établi des liens affectifs (et bien plus encore !) entre nous, il la tue par accident lors de son propre anniversaire, elle qui fut transportée par ce même Ben. Pure coïncidence ? Hasard tragique de l'existence, impossible à vaticiner ? Je ne pense pas...quoi qu'il en soit, nous devons être très prudents...tenez, voyez donc ! Le mime Marceau, Frederic Chichin, Carlos, Henri Salvador, et maintenant Mademoiselle P...n'est-ce pas étonnant, cette longue liste de morts qui s'allonge inexorablement ? Vous, je ne sais pas, mais moi, je préconise le bénéfice d'une protection ultra-rapprochée auprès de Carla Bruni afin que ces morbides événements ne l'atteignent point, auquel cas ce serait là le plus grand désastre que l'Humanité aurait jamais connu.

J'ai profité de ma maladie (salope d'otite !) pour écrire ces quelques lignes, en espérant vous avoir transmis mon profond désarroi et mon incommensurable prostration. Mais cette soirée funèbre n'en fut pas moins réussie et des plus agréables, notamment lorsque nous passâmes "L'âge de Bière" (avec la douche dudit liquide qui s'en est suivie...) de Mononc' Serge afin d'oublier quelque peu cette terrible perte. Je vous la met d'ailleurs ici, cette fameuse chanson, et puisse-t-elle vous revigorer lors de vos plus durs moments, et raviver en vous la flamme incandescente de l'espoir et du goût pour les choses essentielles de la vie !