Vendredi 29 août 2008 à 18:06

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Des âpres hauteurs il descendait, ermite esseulé au regard indomptable, le long des cimes vertigineuses, sommets écarlates sous la barque céleste du crépuscule. Il descendait, nocturne conquérant, Michel triomphateur de Satan descendu des cimes, sous l'ombre suffocante de ces Olympes abrupts, flèches immenses allant perçer les nuées - fleuves étheréens des grandeurs aériennes - jusqu'à atteindre les bois millénaires, où s'élèvent des pins grandioses aux épines aiguisées. Des cohortes de hiboux aux yeux d'or - miroirs ambrés où resplendissaient les richesses aztèques passées - guettant dans un pieux silence cet arrivant du zénith azurin, taciturnes sentinelles. Il traversa ces bois, enveloppé de l'ombrage du grand arbre céleste, aux rameaux bleutés et aux fruits stellaires, si mûrs qu'il rayonnaient d'un éclat argentin du haut de l'ineffable infini. Tempérant ses foulées, il fixa son regard vers le lac immobile, miroitant parfaitement le reflet de la lune pâle qui, allègre et silencieuse, folâtrait sur sa cristalline surface, aussi figée que le sourire d'un cadavre de fillette blême. Le vent se reposait dans un lit de cendres.

Taillée dans la roche gluante des falaises escarpées, il aperçut l'antique caverne, odieuse créature à la carapace invincible, au silence prostré et à la bouche béante, prête à engloutir l'audacieux passager dans les vides abîmes. Des profondeurs infinies de ses entrailles croupissantes s'exhalaient les effluves d'une étrange cacophonie, sombre baptême psalmodié par des anges impies condamnés à errer dans les ténèbres effroyables, spectres contristés !

Le héros hardi s'engouffra, laissant derrière lui cette terre où règnent les clartés éternelles d'Apollon, et descendit dans les limbes obscures, brun royaume des nuits les plus fétides. Y mûgissaient d'inquiétantes chauve-souris aux cris stridents, orgues des profondeurs entonnant un Ave Maria aux tonalités suraigües. Il descendait toujours, voyageur solitaire, englué dans les rets de l'infernale araignée qui, avec force, l'entrainait en son sein velu et démesuré ; il descendait, lueur salutaire, dans les viscères noirâtres de ce frémissant escalier. Mille ans ses pas résonnèrent, mille ans dura cette chute dans l'ombre vide, avant qu'il aboutisse dans l'écarlate chapelle. Un archidiacre atrabilaire, le voyant parvenir en ces lieux, pris place sur sa gigantesque estrade - oratoire sacerdotal de la folie ! - et d'une voix rauque et pélagique, il hurla - Haine ! - et souilla l'arrivant par d'horribles acrimonies, glaives ensanglantés rageusement lancées vers sa poitrine ; ce dernier résista, traits marmoréens et regard impavide. L'ecclésiastique dans un ardent transport lui cracha son sang et son courroux, long bras décharné dont les chairs pourries pendaient en lambeaux putréfiés. De sa main rutilante il lui enserra le coeur, astre palpitant, et de ses griffes déchirantes il pénétra en ses profondeurs, délogeant de son calice le vin de la misère. Essaim de vermine grouillante, insectes morts qui vrombissent ; délices décomposés, anathème du profanateur ! Ô finitude, à cette heure, ton requiem funeste retentit.

Coeur ulcéré, conscience défaite, il bondit dans l'escalier, lapin apeuré devant l'aigle redoutable, et entama l'ascension, chemin inverse qu'il avait déjà traversé. Une fois revenu en surface, il se pencha vers le lac immaculé, esprit dévasté, à la recherche de son identité. Le lac frissonnait, son reflet lui apparut indistinct ; le cadavre de la fillette, brisant la pierre de son tombeau, avait levé ses bras terreux vers le ciel et, vaste front d'argent irrité, poussa un cri de gorgone vers les astres effarés. Dans les champs alentour, une maigre moissonneuse à la robe déchirée labourait, dans un geste d'acier, la récolte des âmes ensemancées, ô coeur désertique et lunaire ! Les troncs entre eux murmuraient d'ancestraux secrets dont ils étaient les gardiens, bois vermoulus, impassibles témoins des temps passés. En cette minuit sous leurs yeux fixes naquit Bélial, idôle mésséante de Sodome consumée par les flammes. Aldébaran, scrutant le spectacle des hauteurs immuables, vit fleurir en ses yeux des larmes scintillantes, perles sidérales de roses, de lys et de résédas.
 

Wormphlegm - Epejumalat Monet Tesse Muinen Palveltin Lauran Ja Lesse (extrait, la track entière dure 30 minutes.)

Vendredi 22 août 2008 à 0:01

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Et d'ailleurs, j'ai mis deux plombes pour la rédiger, alors un peu de sollicitude, je vous prie.
 

Plusieurs milliers de printemps séparent cette histoire de notre âge. En cette époque, les eaux limpides des mers et des océans étaient balayées par de doux zéphyrs, et les créatures les plus diverses, peuplant abondamment la Terre, se reposaient paisiblement sous les ombrages de forêts antiques. C'est en ces temps reculés que vivait la Déesse de la Nuit, divinité immortelle qui dominait les nues aux côtés du Dieu Soleil, voué à être sempiternellement placé à l'exact opposé du point où elle se situe. Sa peau était, disait-on, aussi pâle que la pleine lune, et sa longue chevelure soyeuse était d'un noir aussi intense que le plumage d'un corbeau. Sa belle parure en brocart noir broché d'argent était composée d'une multitude de soies et de dentelles de la même couleur, et elle arborait également des bracelets et pendentifs faits d'un étrange métal sombre, où de scintillants diamants étaient profondément damasquinés. Mais la plus insigne de ses qualités était assurément sa beauté ineffable ; car comme toute Déesse majeure, elle possédait un visage céleste, une silhouette parfaite et une taille de nymphe. Pourtant, cette splendeur était restée virginale toute son existence, et son indéfectible dévotion avait jusqu'alors découragé la totalité de ses prétendants.

Un jour, pourtant, la Déesse sentit qu'une froide solitude commencait à peser sur elle. Lasse de réserver son amour pour elle seule et de n'avoir jamais témoigné aucune affection à quiconque, elle voulut prendre un amant afin d'enfanter sa descendance. Ce fut le Dieu de l'Aurore qui eut droit à cet honneur, et une nuit durant, ils partagèrent la couche nuptiale du panthéon réservé aux hymémées entre divinités. Elle en revint satisfaite, car dès le jour suivant, elle portait en ses entrailles la fertile semence de son nouvel époux. Les mois suivants, son ventre s'enfla peu à peu, et malgré tout ses craintes, sa beauté en fut à peine entâchée. Enfin, au terme de sa gravidité, elle donna naissance à un fils, et celui-ci fut plus beau encore que sa propre mère ; on le nomma Crépuscule. Sa splendeur ne fit d'ailleurs qu'augmenter avec le temps, si bien qu'à sa vingtième année, il atteignit le zénith de son éclat, surpassant alors infiniment chaque être vivant. Ses traits étaient plus fins et plus purs encore que ceux de sa mère, ses cheveux d'un noir plus profond, et une aura phosphorescente émanait de sa peau liliale. Ses yeux semblaient être deux gemmes smaragdines, et la légende conte même qu'au milieu des nuits éternelles, son regard étincelait à des dizaines de lieux alentour. Quant à son corps, il disposait de la finesse d'une guèpe ainsi que de la robustesse d'un jeune taureau, si bien que Narcisse lui-même en serait tombé éperdu. Ce serait d'ailleurs mentir que d'affirmer que sa mère n'éprouvait pas une chaste dilection à son égard, le couvrant incessament de caresses et le baignant sous ses tendres baisers. Pourtant, l'amour maternel demeurait insuffisant, et le jeune dieu ressentit prestement le besoin de déceler un épouse. Mais qu'elles sont fades et quelconques, les beautés d'ici-bas, lorsque notre magnificence ne connaît d'égal ni sur Terre ni dans l'éther ! Il commenca alors à désespérer de trouver celle par qui et pour qui il vivrait, se languissant de cette infâme thébaïde et de ce morne ennui. Il pleurait de larmes fraiches et hyalines, les yeux rivés vers les hauteurs célestes dont l'étendue ne connait aucune limite, et exhalant de longues plaintes, il se demandait si un jour il serait capable d'aimer un seul être en ce monde. Et ce jour qu'il espérait et chérissait tant vint enfin.

Le Dieu Soleil, deuxième seigneur de l'azur, avait également donné naissance à une fille, dont le nombre d'années équivalait celui du jeune prince nocturne. Seulement, contrairement à ce dernier dont la nature était diaphane et envoûtante, celle-ci détenait une majesté aveuglante et étourdissante, brûlant constamment d'un extraordinaire éclat de mille feux. Chaque partie de son être engendrait chez celui qui la contemplait les désirs les plus ardents ; ce n'était pas une passion pusillanime et frivole qui subsistait alors dans le coeur de ceux-ci, mais bien des centaines d'aiguillons incandescents profondément plantés dans leurs entrailles, les vouant à une recherche perpétuelle et désespérée de cette fleur magnétique. Le prince du Crépuscule n'échappa point à cet enchantement fatal, et bientôt l'image de cette rayonnante beauté hanta ses pensées sans aucune trève. Il se présenta donc auprès d'elle, revêtu de ses plus beaux atours, aux rênes de son char vespéral mené par quatre fauves imposants au pelage entièrement noir. Il s'exprima avec toute la ferveur et l'éloquence que lui permettait sa condition, et lui peignit la vivacité de son amour et le bonheur conjugal qui résulterait d'une telle union. Il n'eût pas achevé sa harangue que la nymphe édénique avait déjà fui ; car bien qu'ayant été touchée par les voeux de cette déité, elle ne put éprouver que du dégoût devant la pâleur sépulcrale de cet être attifé de si lugubres couleurs. Les charmes si ensorcelants de ce jeune seigneur, aux antipodes parfaits des siens, ne lui évoquaient qu'un sinistre effroi. Cette fuite l'accabla, et ses plaintes et ses soupirs, si présents et pathétiques déjà, redoublèrent d'intensité et le firent sombrer dans une insondable prostration ; à quoi bon continuer à vivre si l'objet de sa convoitise, l'unique voie vers une éventuelle félicité, demeurait loin de lui, le condamnant à un supplice éternel ? A quoi bon continuer à se regarder dans les miroirs des lacs d'opale, lorsque le reflet ainsi contemplé ne représente que la répulsion et la répugnance de celle qui a élu domicile en notre âme ?

L'affliction fut telle que, cédant aux assauts de ce chagrin démesuré, il fouetta de la bride son puissant attelage et s'élança dans une course misérable à la poursuite de la fille du Soleil. La jeune déesse l'aperçut au loin, se ruant vers elle tel un démon jaillissant de l'abîme où les flammes infernales léchaient naguère son corps opalin et ses yeux d'émeraude ; ceux-ci brillaient d'un éclat plus intense encore qu'à l'accoutumée. A la vue de ce transport véhément, elle prit peur, et déployant toute l'envergure de ses amples ailes d'airain, elle entama son essor et se déroba vers l'horizon. Les deux divinités fusaient à une vitesse plus rapide encore que celle de la foudre, et cette course effrenée produisit typhons et ouragans durant sa durée entière ; quiconque tentait de les couver des yeux ne réussissait qu'à perçevoir deux flammèches, l'une rougeoyante et l'autre bleutée, filant à travers l'éther. Vingt jours durant, cette poursuite perdura, mais au bout du jour suivant, la princesse de lumière accablé par le joug de la fatigue perdit de la vitesse, et le Crépuscule, mû par son amour bouillonnant, gagna du terrain et parvint enfin à l'atteindre de sa main. Néanmoins, l'aura de feu de la nymphe brûla le corps du jeune prince d'une flamme impérissable ; car jusqu'au déclin des dieux, le Soleil irradiera la glèbe de ses vigoureux rayons. Embrasé désormais si bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de son être, le dieu infortuné, porté par l'élan de sa course insensée, fut renversé de son char dans une sèche embardée et, son visage effaré et ses pieds tournés vers les cieux, vint choir sur la surface de la Terre. Le choc fut cyclopéen, et on eût dit que les colonnes soutenant les fondements même du monde s'ébranlèrent dans un terrible fracas, secouant avec une violence colossale chaque région de l'orbe terrestre. Une fois les seïsmes estompés et les tempêtes adoucies, les volutes pulvérulents qui environnaient l'endroit de la collision retombèrent. Alors le Crépuscule foudroyé parut étendu dans un vaste cratère, la visage d'une lividité cadavérique, le corps baignant dans un lac vermeil et toujours embrasé par le même feu dévorant, conséquence funeste de son adoration invincible. Sa mère accourut, suivie de près par son ancien amant, gémissant et se frappant la poitrine, pétrie de douleur devant cet affreux spectacle ; mais sa peine ne put rien changer à l'irrémissible destin qui guettait désormais fermement son fils tant chéri. Ce dernier leva son regard d'un vert scintillant d'où se déversaient des perles cristallines en une douce cataracte, et il vit une ultime fois cette beauté séraphique qui l'observait du haut des nuages lactescents, une lueur de repentir brillant au fond de ses prunelles. A cette vue, il souffla sensiblement, et de sa bouche délicate sortit une flamme d'un blanc pur aux reflets azurés ; lui permettant de délivrer ainsi sa passion sous forme matérielle, les divinités majeures, compatissant à son injuste sort, lui accordèrent quelques secondes de plénitude avant son trépas. Alors seulement, s'affaissant encore plus qu'il ne l'était encore, il exhala son dernier soupir.

Mais sa mémoire ne s'est point effacée ; au contraire, elle demeure même chaque jour, immortelle, au-dessus de nos têtes. Son corps enflammé fut disposé dans son ancien char, auquel furent rajoutés des oriflammes funèbres, et celui-ci se dresse fièrement dans les cieux, guidé par l'antique fille de l'astre de jour, à mi-course entre le Dieu Soleil et la Déesse de la Nuit. Ainsi, lorsque tombe le Crépuscule, une lueur grandiose inonde l'éther empourpré, annonçant le déclin du jour et l'avènement de la nuit. La Reine nocture, ayant récupéré la flamme dégagée par les entrailles de sa géniture, l'avait divisée en une infinité de morceaux avant d'en orner un suaire noir dont elle s'était vêtue. Ainsi, le manteau de la nuit est maintenant constellé de millions de tâches scintillantes, astres brûlants dégagés du sein du plus aimant des êtres ayant jamais existé. Enfin, quand après l'obscurité vient l'Aurore, on peut apercevoir sur chaque brin d'herbe et chaque feuille d'arbre quelques gouttes frémissantes d'une fraiche rosée ; elles ne sont autre que les dernières larmes versées par le prince défunt que le père à conservé et dispose sur la nature verdoyante à chacun de ses passages, ultime vestige de la grandeur de son ancien fils.
 

W.A.S.P : Wild Child

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