Dimanche 23 mai 2010 à 22:46

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Puis d'un coup, tout se brouilla. Ce décor si familier, avec ses lampadaires, ses pavés gris, ses maisons alignées, tout se fondit et sombra dans les profondeurs du cosmos marin. Etait-ce une vision que j'avais là ? Etait-ce un pan de mémoire oublié qui, sous l'influence de quelque égoïste dessein, décidait subitement de refaire surface ? Le soit avait disparu, c'était de la lumière que je voyais là ! Vision blafarde pour des pupilles tant habituées à la pénombre ! Là, dans la cour de l'école... que voyais-je ? Des enfants, à cette heure-ci ? Fallut-il croire que ma raison chevrottante me jouait une bien mauvaise farce. Mais soit ! Admettons pour le moment que nous fussions en pleine journée, et que l'heure de la récréation venait de sonner. Les chérubins, avec leur chair si rose, leur teint si frais et leurs yeux électriques s'élançaient de toutes parts, avec cette pétulance dont le souvenir devient si cher une fois que l'âge s'avance, et s'adonnaient à leurs distractions naïves et innocentes (puisque tout ce qui touche à l'enfance, même le plus odieux mal qu'il soit possible d'imaginer, reste forcément innocent ; comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on les voyait ainsi ?). Certains se jetaient tour à tour une balle rouge tout en courant fougueusement ; d'autres étaient assis tranquillement, formant une rigoureuse figure orbiculaire, et bavardaient joyeusement ; d'autres encore, attroupés dans un coin, regardaient avec toute la fascination qu'il est permis d'éprouver à cet âge l'un de leurs camarades s'amusant à serrer progressivement un foulard autour de sa gorge. Une fois son larynx parfaitement comprimé, son visage si ravissant et coloré auparavant prit une teinte blême, tandis que les gouttes qu'exsudaient ses pores, semblables à de grosses larves livides lancées dans une salve avide, perlaient jusqu'à sa gorge comme pour la ronger de leurs crocs velus et atteindre son artère carotide interne (estimable repas s'il en est !). Il était beau comme un poisson d'eau douce qu'on aurait - une fois sorti de la rivière - empallé puis abandonné dans son agonie sur des roches basaltiques ! Je me perdis aussi plusieurs secondes dans la sensualité de ce spectacle - ô superbe conflit entre vie et matière où l'Eternel s'accomplit et supprime l'individuelle discontinuité ! - avant que mon attention ne se reportât sur l'objet véritable de ma visite mystérieuse. Juste là ! Un enfant, esseulé, marcheur âpre sur les graviers solitaires, déambulait le front tourné vers Satan. Je m'approche de lui. Il m'intrigue tant ! C'est lui que je veux voir ! Que fait-il à l'écart de tous les autres ? Je le veux savoir, et je désire l'aider ! Je l'aborde de face ; il continue sa route. Il ne m'a même pas vu ! Et cette étrange sensation... qu'était-elle ? Je me rapproche de nouveau et scrute avec l'application d'un épervier la proie qui m'avait captivé. Mais cet enfant... c'est moi ! Oui, il est moi ! Moi il y a quelques lustres de cela, certes, mais tout de même moi ! Cette épaisse chevelure d'un blond de cendre, ces deux lèvres incapables de se défaire de leur érotique étreinte, ce menton effilé, ces prunelles d'une amertume azurine, ce vernis purpurin sur son pourtour périorbitaire... aucun doute n'était admissible, il s'agissait là définitivement de moi, de moi lors de mes premières brassées dans le purin de la vie, de moi qui déjà marchait seul, le coeur dans l'abîme, loin de mes semblables. Oh, viens donc me serrer dans tes petits bras, toi mon sang ! Ô mon âme, ma chair, ma conscience, ma vie, ma honte et ma fierté dans le même temps, viens près de moi, que je console de mes murmures et de mes caresses ta démarche affligée et tes pensées si nébuleuses ! Que fais-tu ? Reviens ! Me fuis-tu ? Refuses-tu mon aide comme une puritaine frigide refuserait la fornication ? Veux-tu échapper à ma présence, moi que tous fuient et qui les fuis tous, moi qui pourtant eusse tant voulu être aidé et n'eus personne pour m'offrir sa main ? Tu ignores tout de ce qui t'attend ! Pourquoi cette attitude si obstinée ? Reviens-moi ! Tu es déjà si loin. Tu ne m'écoutes pas. Je t'aime, cela ne change rien. Mais... que font ces enfants ? Je peux le voir. Il rient de lui ? De moi ? Pourquoi donc, que vous ai-je fait, à vous qui cultiviez si paisiblement les plaisirs du sérail de votre jeunesse ? Ils s'approchent de lui ! De moi ! Ils lui cherchent querelle ! Ils me cherchent querelle ! Pourquoi un tel comportement ? Est-ce là cette innocence si pure et immaculée que l'on exalte chez les enfants ? On (il faut en même temps savoir que on est bien l'être le plus ignorant et le plus crédule qui soit) observe toujours le sourcil charmé les tableaux de candeur et de joie que procurent des enfants interagissant entre eux. Moi, tout ce que je pus voir ici, c'était une bande de repoussantes araignées à l'abdomen menaçant et aux mandibules pendantes tentant d'étouffer de leurs pattes démesurées un phalène chétif et apeuré, dont l'unique souhait fut de déployer ses ailes brunes dans l'air du soir où frémissent les atomes translucides de la mélancolie de l'automne. C'en est assez ! Il me faut agir, et vite ! Eh là, arrêtez-vous immédiatement ! Engeance batârde née des menstrues desséchées de Lilith, est-ce là la manière dont vous vous divertissez ? Est-ce là tout ce que peuvent vous dicter les méandres de vos minuscules encéphales ? Laissez-le ! Laissez-moi ! Je vous somme d'arrêter ! Ah !

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