Lundi 2 novembre 2009 à 23:06

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L'aventure érotico-épique du très illustre et très renommé Dawson le Titan (à compléter), première partie.

 
Ô muses qui inspirent chez l'homme la prose agile
Et chevauchent dans la glèbe les sexes d'argile,
Accordez-moi le don de conter l'histoire
De Dawson le Titan aux larges tétins noirs.

Vois, Josabet, Mathieu et Job content encor'
La naissance du Titan dans le sang et l'or.
Des fiacres, soumis au sort des esclaves Claudiens,
Soemia le berçait dans le sperme Colchidien.

Le sperme coulait comme force chevaux furieux
Sur le fils lubrique du soleil chaleureux ;
Orgie Claudienne ! Et besognant pauvres pâtres,
La teneur en fruits de son sexe s'accroître.

De là, dit-on, cette vigueur durant son règne,
Cette splendeur à rendre les orgies sans qu'il feigne
La douleur, d'une prothèse anale déformée
Par les deux cents assauts de ces noirs triphallés.

Salvatrice averse que celle de son smegma,
Perles d'opale qu'onc vagin ne désira.
Et Jupiter aux mille broyeurs métalliques
Onc ne lui provoqua douleur phallique.

Dès l'enfance, Julia Soemia lui apprit
A séduire les femmes, les séduire avec son vit.
Ainsi parla-t-il à sa soeur, Domna,
Lui parla, sortit son vit et l'empoigna :

"Je ne dis point l'amour, n'étant point amoureux
Mais l'amour malheureux des femmes et d'un lépreux.
Je vous dégoûte, car mes mains, mes yeux et mon corps
Sous la malison s'écrasent, tombent et se tordent.

Vous, Joie, jeunesse et joliesse et pas plus fol ;
Je me ferai savant en la philosophie
Pour recueillir en vous la divine ambroisie,
Où que je tourne l'oeil, soit vers le Capitole
Et ses tilleuls d'airain où prépuces dégringolent."

Ainsi dut-il en dire, de lépreux à nonnain,
Car la vierge consacrée en fut pour ses reins,
"Trou est trou, et bite point n'a d'oeil", selon l'adage ;
Il perdit le sien en temps-même que pucelage.

"Comme un, qui veut curer quelque cloaque immonde,
Entendre claquer ses couilles, comme clapote l'onde,
Malheureux l'an, le mois, le jour et le point,
Car plus ne claqueront mes burnes dans ton groin."
Et il n'ajouta rien, comme elle était ronde.

C'est vers - il est dit - son cinquième printemps
Qu'un vif dégoût des femmes se fit saillant.
Dawson le Titan, friand de nouveaux horizons,
Darda son phallus vers les mâles septentrions.

Se faisant ouvrir jambes et découvrir poireau
(Comme Moïse victorieux écartant les flots),
Diables lui pilonnèrent son anus gluant,
Et le polirent jusqu'à le rendre brillant.

Rien ne lui plû que ce théâtre de la vie,
Rien de plus rouge que force sexe et à l'envie !
Des clameurs ! Dawson ! Dawson ! Dawson s'embourbait
Dans les draps quand son cul exploité se tuméfiait.

Mais les coups incessants de ces pines durailles
Effritèrent bien tôt la boîte à mouscaille
Du Titan ; et vibrèrent alors dans son cul
Essaims pugnaces de frelons aux dards aigus.

Tacite le rapporte, Isaïe le relate,
Cette première expérience le fit folâtre ;
Et vers dix ans ce fut le prêtre d'Australie
Qui lui fit goûter aux viols d'Aortésie.

"Et pointe la verge comme pointe l'aurore !"
Dit ce prêtre coquin qui en voulait encore.
Dans cette verte prairie, ruisseaux et vaches,
Et lactescents oiseaux dont la mousse tâche,

Jappaient, s'élançaient sous le zéphyr du feuillage,
Il dit : "Les putains ne viennent point d'Alapage".
Toutes étaient nymphes, et sans doute néréïdes,
Putes impériales tirées de l'Enéide.

"Femmes callipyges ! L'orage me déchire !
Que mon sexe étende sur vous son empire
Alors que mugit l'équinoxe de diamants !"
Pourtant le vit du prêtre restait attachant.

Soudain ! Soudain ! (Mon Dagaud) il eut dans sa bouche
Ce que l'on ne saurait dire, la grande babouche,
Le grand boudin, le vit principal du curé,
Et déjà de son cul, il fit de la purée !

Fort aise alors de cette plaisante surprise,
Dawson la lui rendit cent fois, sans lâcher prise.
Feu ! Feu ! Que chante et crépite le canon ardent !
Que ses puissants obus s'enfoncent jusqu'au sang !

"Général ! Si tu sors ton canon, je le tords !"
Monsieur se prit au jeu de l'Amour et du Sort,
"Jouons donc ; si tu me trouves je fais la femme.
Compte donc ; je suis sous la barque, c'est celle à rames !"

Ainsi se termine la première partie
Qui bien que grivoise nous laisse le souris,
Puisque tout bon mot doit s'arrêter à temps
Laissons les choses de fesses et de bas rang.

Composé et rédigé en collaboration avec Léocade Lawrence de la Hasse.

Lundi 31 août 2009 à 22:22

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Cela commencait à faire longtemps que la nuit avait déployé ses longues ailes au-dessus de notre bas monde, le plongeant de cette manière dans sa chère obscurité ; cette obscurité qui éveille en l'homme réflexions angoissées et pensées morbides, mais qui dans le même temps permet de tomber bien plus aisément dans ce sommeil paisible et regénérateur, chose que je cherchais ici à atteindre sans toutefois toucher au but. Je me tournais et retournais continuellement dans mon lit, agrippant les draps froissés et moites, en quête de cette torpeur dans laquelle mon esprit pourrait enfin obtenir quelque repos mérité. Ce n'étaient pourtant pas les moyens qui me manquaient : la lourdeur de mes paupières faisait ployer mes muscles dans de légères saccades, et mes esprits étaient si nébuleux que j'en venais parfois à me demander dans quelle place je reposais en ce moment. Mais en dépit de cet état léthargique qui aurait sans nul doute berçé n'importe qui dans les bras de Morphée, de nombreux petits détails taraudaient mes sens et les maintenaient constamment éveillés, à l'affût de leurs présences : l'atmoshpère lourde et suffocante dans laquelle baignait ma chambre, les bourdonnements insupportables et perpétuels d'une horde d'insectes bruyants qui avaient élu domicile entre mes quatres murs, ou encore les grincements pénibles de mon matelas soumis à l'épreuve de mon poids et de mes mouvements. Je m'étais couché aux environs de onze heures, désireux de récupérer toutes ces nuits précédentes durant lesquelles je m'étais plongé dans de nombreuses lectures, bien souvent jusqu'aux premières lueurs de l'aurore, à dessein de conquérir quelques parcelles de cet immense champ de bataille que l'on nomme communément Savoir. Lassé de cette interminable et vaine tentative, je me levai de mon lit puis m'attifai d'une longue robe de chambre pourpre, avant de me diriger vers la cuisine, où je me servis un verre d'un vieux brandy. Une fois cette tâche accomplie, je m'acheminai vers le salon, où je pensais reprendre la lecture de quelques pages du Pharsale de Lucain ou encore des Satires de Juvénal ; c'était sans compter sur la présence totalement inopinée de Kristolor qui, pareillement à moi, semblait avoir abandonné sa quête de sommeil et avoir plutôt choisi de s'ébaudir en exécutant quelques croquis de personnages mythologiques qui lui étaient chers ; croquis qui semblèrent bien prosaïques et désuets en comparaison du sourire qu'une quelconque force supérieure dessina sur son faciès lorsqu'il vit arriver une personne avec qui partager sa solitude et son impuissance. Ce fut donc enchantés que nous nous installâmes conjointement et entamâmes la conversation, qui fut évidemment un peu laborieuse, tant notre état de fatigue avait amolli nos esprits et, par la même occasion, notre répartie. Je l'enjoignis donc à poursuivre l'histoire de ses concupiscences malheureuses, et notamment lorsqu'il se fut enamouré d'une certaine Gabrielle, dont il avait déjà commencé à me conter la manière dont elle l'avait envoûté.

- Il est vraiment étrange, Romaric, de voir à quel point les effets que nous causent la vue de certaines femmes peuvent être important en intensité et en durée, commenca-t-il. Comme si, contenu dans cette fine enveloppe de chair tendre à la couleur d'albâtre, leur être essentiel resplendissant comme un diamant exposé aux rayons du soleil de midi, se révélant dans sa forme la plus pure à ceux qui daignent s'adonner à sa contemplation la plus naïve et la plus désintéressée. Car à chaque fois qu'elle était présente, un frisson torpide me parcourait subitement l'échine, alors que mes yeux se posaient sur son visage suave. Ô, Nature, avais-je toujours envie de m'exprimer, avec quelle délicatesse tu as prodigué toute ta splendeur à cette belle enfant ! Que de dons sublimes tu lui as généreusement octroyé ; lorsque l'on contemple ce doux visage et ce corps charmant, ce n'est pas seulement matière charnelle et muable que nous voyons, mais bel et bien ta substance la plus pure et la plus sublime, que tu as immiscée dans ce corps séraphique afin d'en faire le plus bel objet terrestre, que tout homme espère un jour faire sien ! Sous une abondante cascade de cheveux châtains parfaitement bouclés brillait de mille feux ce visage, si fin et harmonieux, que je m'étais pris à admirer si souvent. Ses yeux d'un noir profond étaient deux abysses éternelles dans lesquelles mes pensées envoûtées plongeaient fatalement dès que je me tenais face à elles. Et sous ce corps diaphane duquel se dégageait la plus lascive des féminités se cachaient une délicatesse sans bornes et une préciosité maîtrisée. Ah, Romaric, comme j'aurais aimé serrer dans mes bras cette géniture divine jusqu'à ce que nos deux corps se fondent pour toujours en un seul et même être ! Comme j'aurais aimé couvrir sa fine bouche de baisers fougueux jusqu'au crépuscule des temps ! Hélas, je n'ai pas eu cette chance, et tout ce qui était alors en mon pouvoir, c'était de la pouvoir regarder avec cet autre homme ; cet autre homme pour qui elle éprouvait une authentique et réciproque dilection, tandis que pour moi, il n'y avait eu qu'affection infertile. Il m'était bien impossible de concevoir comment après tant de déclarations brûlantes, tant d'aveux enflammés, tant de serments revendiqués, tant d'amour et tant d'affliction enfin, je ne parvenais à saisir, dis-je, comment un autre homme eût pu planter aussi promptement et aussi aisément son oriflamme sur le coeur de mon adorée, lui qui n'avait assurément pas souffert le quart de mes efforts rageurs ! Il m'était d'ailleurs tout autant impossible de comprendre comment autrui pouvait ne serait-ce qu'éprouver vaguement ce que j'endurais à chaque minute de mon existence ! Et tout cela me faisait enrager. Oh, comme je bouillonnais de jalousie et de haine en contemplant ce tableau si odieux, symbole de tous mes actes futiles ! Comme j'aurais humecté de mon infâme venin leur gracieuse bulle sentimentale ! Mais d'un autre côté, n'était-il pas attendrissant, le pathétique spectacle qu'ils offraient là ? N'étaient-ils pas bouleversants, ces deux petits êtres séraphiques, ignorant mutuellement leurs défauts respectifs, plongés dans leur douce illusion - cette rêverie passionnelle ! - et sourds à la dure réalité qui finira par les rattraper ? Si méprisables et si languides ! Si abjects et si émouvants dans le même temps ! Oh, je ne savais absolument plus quoi penser, Romaric, et cela me troubla jusqu'au plus profond de mon âme. Je restai bien longtemps dans un tel état ; des semaines, peut-être même des mois. Mais finalement, comme la peinture d'un tableau finit par s'effriter et se ternir à l'exposition de l'air libre, la passion finit également par décroître, et au bout du compte, j'ai réussi à l'oublier. Ne subsista alors que cette sorte d'indicible langueur, cette légère mélancolie lorsque je la regardais, qu'engendrait la prise de conscience de ne jamais avoir profité d'une chose que l'on a un jour désiré de toute son âme.

Fasciné au plus haut point par la fougue et par l'inspiration avec lesquelles Kristolor me décrivait Gabrielle, transport comparable aux anciens poètes Romantiques, je le poussai à me décrire plus succintement - mais tout aussi précisément - d'autres de ses amours passés, qu'ils fussent plus éphémères ou moins violents, peu m'en importait. Le principal était de le voir donner une réalité sensible à ce qui n'était plus que songe en son esprit, et cela par le simple moyen de la chaleur de ses mots. La frontière entre ce songe lointain et l'instant présent semblait alors s'oblitérer, comme si chacun des détails ou des faits qu'il me contait était un coup de griffe qu'une taupe eût lancé contre les derniers pans de terre la séparant de son terrier ; et je pouvais m'imaginer, juste en observant le pétillement dans les prunelles de Kristolor, ces jeunes femmes se tenir juste devant lui, dans toute leur consistance d'antan, pétulantes et emportées comme le sont toutes les femmes à cet âge nubile. Des réalités hors du temps, vierges des brutaux assauts des années, aussi fraîches et vivantes que si le jeune honne les eût vues la veille. Voilà le phénomène sublime qui se déroulait actuellement, juste devant moi. Je fus notamment saisi par la description de la seconde plus grande frustration qui hantait son coeur, la seule que je retranscrirai ici.

- Ma plus haute aspiration, ma plus ardente concupiscence juste après Gabrielle, avait été envers une jeune femme de ma classe, lorsque j'étais en dernière année de lycée. Sa beauté égalait pratiquement celle de Gabrielle, et je pensais parfois même qu'elle lui était supérieure, à cela près que son corps était encore plus porté à maturité, si bien que chaque coup d'oeil soutenu vers son être tout entier était toujours un délicieux spectacle. Je vais te la décrire ! Elle avait les lèvres les plus roses et les plus parfaites, les yeux brillant d'un éclat d'opale, les cils les plus fins, le nez le plus mignon ; en clair, le visage le plus charmant. Et sa gorge ! Ah, Nature, jamais tu n'en fis d'aussi magnifiques, d'aussi voluptueuses, d'aussi purement formée ! Et si encore ce n'était que cela ! Ces membres graciles, cette peau ferme et glabre, et cette taille de nymphe ! Juge donc, par la manière dont je porte cette muse céleste au pinacle, à quel point les autres biens de ce monde apparaissent comme dérisoires et insipides, comparés à sa magnificence ! Ah, mais en dépit de sa toute-puissance et de son infinie sagesse, la nature est parfois bien ingrate. Car figure-toi qu'elle mêla au sang de cet ange amène aux ailes d'airain la chasteté d'une Vestale ! Car oui, elle était une créature sacrée, regardant ses soupirants avec indolence et n'offrant son coeur saint à quiconque. Savons-nous assez, nous autres de la race mâle, à quel point son vifs les feux de la géhenne dans lesquels se consume le pauvre homme qui contemple l'objet de sa fringale, certain du plus profond de son être qu'il ne sera jamais sien ? Tu sais Romaric, les femmes sont décidément bien fabuleuses et incroyables : elles, plus que n'importe quel autre être vivant sur terre, ne m'avaient jamais aussi bien fait comprendre l'inutilité de mon existence et la désuétude de mes sentiments.

A cette dernière phrase, je ne pus m'empêcher de ressentir un vif pincement au niveau du coeur, car bien que je fisse tout pour me convaincre du contraire, j'avais moi aussi cette amertume qui souillait continuellement le goût de ma salive, comme ces bovins que l'on marque au fer chaud de manière indélébile. Mais ce n'était rien comparé à l'admiration béate que j'éprouvais à ce moment pour Kristolor. En me détaillant ces beautés, il s'était bien détaché de la condition humaine, pour rejoindre la sphère illustre et supérieure des artistes. Il ne se contentait point de m'énumérer banalement leurs qualités, comme le ferait le plus commun des mortels : non content de prendre les phénomènes sensibles comme la nature les lui présente, il les embellissait, les sertissait de perles rares et les dotait de mille joyaux : il achevait, somme toute, les oeuvres incomplètes telles qu'elles apparaissaient afin de les doter de cette perfection qu'elles n'auraient jamais eu à leur état naturel originel. A l'instar des grands parfumeurs maniant avec brio toutes les arcanes de leur art, il pouvait donner à ses ouvrages les teintes et les senteurs qu'il désirait : si l'envie lui prenait de glorifier une beauté quelque peu orientale, il lui suffisait d'ajouter à sa mixture quelques gouttes de spika-nard. Si son dessein était d'obtenir un réhaut puissant, un peu de patchouli était du plus bel effet. Ou si encore il devait évoquer le calme des campagnes ensoleillées ou encore l'intimité et la fraîcheur des bois, il ajoutait avec la plus grande aisance quelques touches de musc, de lavande ou de fleur d'oranger. Et au final, sa création se révélait éminemment plus admirable et plus digne d'éloges que n'importe quelle offrande naturelle, en ce qu'elle était pénétrée au plus profond de son être par cet incommensurable esprit artistique, par ce souci perpétuel de perfection. Les beautés artificielles, engendrées par l'amalgame de la réalité prosaïque et de l'esprit de l'artiste emporté par sa frénésie ne se trouvent nul part ailleurs et sont d'autant plus précieuses qu'elles ne peuvent être créées que par un seul et unique homme. Car il faut également retenir que toute création est une potentialité, s'extirpant dans sa forme sensible d'un néant mêlant possibilités d'être et de non-être, eux-mêmes sous-tendus par de nombreux facteurs. Une oeuvre est belle, car elle aurait pu ne pas être et ne jamais advenir ; si telle conscience ne l'avait pas mise à bas, alors la possibilité de son existence eût été renvoyée dans cette décharge puante des potentialités qui n'adviendront jamais. Alors je regardais ce spectacle et je me taisais, en remerciant intérieurement ce jeune créateur pour me l'avoir offert.

Note : exceptionnellement, une photo de moi en guise d'accompagnement. J'ose espérer que cette petite algarade ne me fera pas passer pour plus égocentrique que je ne le suis.

Jeudi 20 août 2009 à 23:09

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C'était cette fois-ci sur un banc du petit parc municipal, au bois craquelé et froid, que je me retrouvai seul dans le crépuscule. Encore une fois, serais-je tenté de dire. A croire que le tempérament passionnel de Kristolor et son emphase dès qu'il s'agissait de dresser un portrait extatique d'une beauté commençait à déteindre sur moi, moi qui toujours avait prôné le stoïcisme et la maîtrise totale des troubles de l'âme en toutes circonstances. Jusqu'à maintenant, les femmes n'avaient jamais été un réel problème ; je me complaisais à les conquérir en élaborant les plus rigoureuses et imparables stratégies le temps de quelques rendez-vous et autres soirées mondaines pour ensuite entâmer la consommation sexuelle, sans jamais rien entériner d'officiel. Je n'ai jamais eu de point d'accroche, et si j'eus été une frégate, l'on eût pu dire que le vaisseau vagabondait en un voyage permanent, sans aucun point d'escale ni aucune bite d'amarrage. Mais le jour où l'équipage gronde, et c'est bien là le point que j'avais si longtemps tenté d'omettre, le jour où l'équipage en sérieux manque de vivre veut retrouver sa patrie mère et s'établir un foyer, ce jour-là doit nécessairement surgir, fût-ce après de longues années de calme et d'obéissance auprès du plus impavide des capitaines. J'étais seul, c'était là un point formel et indiscutable, et n'avais jamais possédé quoi que ce soit, n'avais jamais réussi à attiser ne serait-ce que le plus infime des entichements, n'étais jamais parvenu à obtenir la plus minime des importance auprès de l'un des membres du beau sexe. J'errais seul, dans un désert cosmique, vide et nu, dépourvu de la moindre réalité, les pieds tournés vers le néant, la tête et les bras tendus vers un infini angoissant. Et dans ce cosmos, j'étais un orbite, autour duquel gravitaient des constellations nébuleuses et des météores épars. Des planètes ? Non, impossible de considérer les membres de ces astérismes comme tels. Plutôt des ectoplasmes, des apparitions dénuées de toute substance, des subjectivités avec lesquelles notre esprit, borné par ce carcan de tissus en constante déliquescence, tentera vainement de se confondre afin d'atteindre une harmonie parfaite et totale, peut-être par nostalgie, pour recréer cet être originel androgyne que dépeignent les mythes grecs mais qui fut séparé en deux par les dieux, formant alors deux morceaux sui generis, l'un mâle et l'autre femelle. Mais les corps s'en mêlent, et la multiplicité des consciences se fait ressentir ; ce firmament se mue alors en un grand théâtre où évoluent des cadavres ambulants qui entameraient un bal morbide, où les carcasses futures s'entre-frôleraient leurs membres pâles et s'entre-dévoreraient de leurs globes oculaires gras. Un coeur qui, un jour, posséda quelque chose, endure un terrible manque suite à la disparition de cette chose ; il sait alors qu'il a perdu, et se consacre alors éperdument à sa quête d'un nouvel objet de convoitise, non pas pour engendrer une joie positive, ce serait tellement beau, mais uniquement pour se préserver d'une affliction future engendrée par la non-obtention de cet objet. Mais il est également bien morne, le sanctuaire ruineux où repose celui qui jamais n'a possédé, qui a toujours vécu avec ce manque funeste, et qui entend les plaintes de ceux ayant perdu se désolant au sujet de ce que, lui, n'a jamais eu l'opportunité de goûter. C'est un homme bien égaré et confus que celui-ci, victime des plus morbides pensées fondant en essaims entiers sur lui. Puis advient le jour ou le martyr de cette grande tragédie décide de mettre fin à ses jours et, n'étant pas comme ces pleutres bourgeois et autres fanfarons des basses classes, passe à l'action incontinent ; non pas pour nier définitivement son attachement à la vie en général, car cet individu veut vivre, mais bien pour hurler au monde que c'est d'une autre vie dont il aurait voulu, que c'est d'une autre destinée dont il aurait rêvé. Je me sentais comme ces hommes-là, et j'éprouvais la plus vive admiration quant à ce que symbolisait l'achèvement précoce de leur vie. Hélas, pataugeant dans ma médiocrité crasseuse et dans mes attachements matériels - et donc méprisables, j'étais encore ici à me tortiller et à me débattre, à l'instar de ces beaufs qui, menés à l'abbattoir, se rendent finalement compte de la catastrophe qui les guette, se livrent à leurs instincts animaux les plus primaires.

Pourquoi fut-ce à moi que l'on fit don de la vie ? Ce pantin monstrueux qu'est mon corps, mû par une quelconque force transcendentale et supérieure, pourquoi fallait-il que ce soit mon esprit qui l'ait reçu comme réceptacle ? Pourquoi pas un autre ? Je n'imagine pourtant pas la possibilité que ma conscience eût pu ne jamais exister, et je n'imagine conséquemment donc pas que d'autres consciences potentielles puissent demeurer au stade d'inexistence. Et ces âmes sans refuge, sont-elles en nombre limité ? Je ne puis l'imaginer, je ne puis conçevoir que l'on puisse ne pas être, que l'humain puisse porter en lui cette discordance, ces deux opposés que sont l'être et le non-être. Mais notre présence elle-même en cette terre ne relève-t-elle pas elle aussi de l'absurde le plus complet ? Ces consciences, auxquelles personne n'a rien demandé, sont réparties dans ces larves labiles et périssables, de la manière la plus gratuite et la plus aléatoire qui soit. Et ce pour quoi ? L'on pourra toujours assomer les gens avec de belles paroles, à la manière d'un Kant qui, brandissant tout haut son impératif catégorique et son idéalisme, énonçe que c'est à chaque individu d'attribuer à son existence un but qui lui soit propre, un sens défini et particulier. Laissez à un quidam le choix d'un objectif à accomplir, son torse se gonflera d'orgueil et le sang bouillera dans sa tête, échauffé par l'uppercut d'un vain courage ; mais faites-lui prendre conscience de l'étendue des embûches et des contingences se trouvant sur sa voie, il redeviendra le cuistre qu'il fut toujours et s'empressera de s'enfuir, couvert de honte par ses prétentions. Non, assurément non, la vie n'a aucun but qui lui soit intrinsèque, et ce n'est pas la présomption de quelques téméraires voulant lui faire prendre un sens purement subjectif qui lui en pourvoira un, flamboyant et immuable. Et même sans cela : figurez-vous l'univers entier, ce vagin béant diapré de teintes bleuâtres et serti de diamants, imaginez-vous seulement l'ampleur de cet infini, des corps célestes à perte de vue ou encore des vies potentielles existantes sur d'autres galaxies. Il est ensuite bien ardu d'imaginer sérieusement et plus de quelques secondes que les piètres exhalaisons émanant de cette tourbe buveuse d'idylles que l'on nomme vulgairement espèce humaine puissent être d'une incidence assez importante sur le reste de ce qui est pour justifier leur court séjour sur Terre en tant que phénomènes sensibles.

Nom de Dieu, voilà que la douleur s'accroît. Qu'il est ardu de décrire précisément cette sensation, d'en procurer tous les détails, d'énumérer chaque pointe et chaque s'enfonçant dans notre organisme à ces moments précis. Vos tripes sont en flammes, votre coeur brûle d'une vive et intense clarté, vos entrailles entières sont déchirées par cette véhémente déflagration ; l'Enfer de Dante tout entier est en vous, et vous incarnez le Démon de la Passion inaccomplie. Vous voulez vomir, déverser cet incendie hors de vous, en vagissant votre souffrance et en assurant votre envie que tout soit autrement, votre envie d'être meilleur. Mais tout cela reste insuffisant. Et vous êtes là, contrit, accablé, payant le prix des pêchés de vos semblables, frémissant de peur devant le futur incertain qui se présente devant vous. Vous n'êtes plus cet impétueux Etna qui fulminait, non, vous n'êtes devenu qu'un feu follet, dont la lueur diaphane frémit fébrilement ; puis elle s'éteint, et vous n'êtes finalement plus qu'un spectre erratique. Le joug sinistre de la honte vous accable ; la loi naturelle et commune à tous les êtres vivants prescrivant à chaque individu de lutter pour pérenniser son existence le plus longtemps possible, mais également d'assurer le renouvellement de la génération future, s'oppose ainsi à vous, car malgré vos efforts, vous restez un spécimen inutile et improductif, impuissant à effectuer la perpétuation de l'espèce. L'amour, c'est sortir de soi, défier les limites charnelles de sa manifestation sensible, se sacrifier pour autrui, et chercher en cet autrui ce sentiment d'admiration et de confiance si cher à notre égoïsme ; ne jamais en avoir reçu, c'est l'assurance d'être un mâle incapable de remplir ses objectifs et de pallier ses défauts, la certitude d'être aussi nécessaire qu'une blatte et aussi seyant pour une dame qu'un haillon recouvert d'excréments, mais aussi s'évertuer à se donner à soi-même cet amour - ainsi que tout ce qu'il engendre - que l'altérité nous a toujours refusé, avec la permanente impression d'une irréversible destinée solitaire marquée au fer rouge dès la sortie du ventre de la génitrice, lui-même extrêmement proche des matières fécales contenues dans le corps humain, soit-dit en passant. Et cette mémoire qui s'en mêle, bon sang. Il est établi que l'oubli des souvenances malheureuses est indispensable aux hommes, afin d'éviter un débordement de souffrance, à la manière d'une eau à ébullition dont la masse des bulles de vapeur viendrait renverser un couvercle. Il est aussi reconnu que l'oubli des souvenances heureuses empêche toute éventualité de bonheur constant et contraint à cette éternelle soif de nouvelles voluptés. Mais dès lors que j'essuyais une déception sentimentale, dès lors que je reprenais conscience de cette solitude au corps poilu, le même phénomène intervenait toujours : les réminiscences de toutes ces anciennes femmes et de toutes ces déconvenues apparaissaient de tous les coins et recoins de ce palais mnémique, surgissant des douves, des catacombes ou des geôles humides, s'accumulant ainsi jusqu'à former un caillot solide et étouffant : l'échec de toute une vie. Je pourrais toujours penser ce que je voudrais, je pourrais toujours me mettre en tête les mêmes dogmes que ces fanatiques qui se font exploser en pensant servir une cause juste, je pourrais toujours lire et relire ces délicieuses paroles de Baudelaire, qui écrivit un jour :

"La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim, et elle veut manger ; soif, et elle veut boire. Elle est en rut, et elle veut être foutue. Le beau mérite ! La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.", le résultat sera le même. Car l'homme aura beau chérir ses rêves de plénitude par l'ascétisme ou l'ataraxie, il n'en restera pas moins une bête inféodé par ses plus élémentaires désirs, enfouis au plus profond de sa nature véritable... Mais il se fait tard. Je ferais mieux de rentrer, d'autant plus que je n'ai toujours pas dîné. Ce soir, ce sera canard confit et LSD au menu. Car aucun expédient n'est assez bon pour apaiser nos plus grands troubles.

Mardi 9 juin 2009 à 22:45

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Le soleil arborait encore une paleur de nouveau-né lorsque je gravis les marches du perron, et les innombrables brins d'herbe du jardin, fraichement coupés, berçaient encore sur leurs dos quelques gouttes de rosée translucide que l'aube avait déposées en signe annonciateur de sa venue, à la manière d'un hérault avancant en territoire ennemi au nom de son monarque. Je profitais de cette matinée pour rendre visite à l'un de mes amis les plus proches, Aristide du Bellord, en raison de quelques vétilles que nous avions tous deux à régler (ce dernier avait perdu un livre de grande collection que je lui avais prêté quelques temps auparavant, et nous devions établir du moyen par lequel il me dédommagerait). Ce jeune noble aux moeurs légères possédait une petite propriété aux abord de la côte et à proximité d'une forêt de bouleaux et de chênes ; une falaise de quelques mètres séparait le sol et la mer, dont les embruns venaient se briser contre sa surface calcaire couverte de mousse. Un tel cadre poussait aisément tout homme à l'oisiveté et aux longues solitudes des promenades et autres contemplations muettes, choses auxquelles je n'avais point le droit dans ma bourgade ; aussi Aristide était-il mû par une certaine indolence, un certain flou de l'âme, une réelle absence de respect pour la pudibonderie et l'éthique en général, ce qui me rendait son commerce d'autant plus agréable, là où pour beaucoup, il n'était qu'un endormi vélléitaire ne sachant pas réfréner ses vices (là où en vérité, il ne faisait aucun effort pour cela).

La posture dans laquelle je le trouvai en pénétrant dans le grand salon, après avoir déposé mon manteau et ma canne dans le vestibule d'entrée aux dalles de marbre, confirmait à merveille cette description que je viens de donner ; car l'une des caractéristiques que l'on pourrait sans nulle peine adjoindre à ce portrait était la capacité de celui-ci à toujours se placer dans les situations les plus singulières et les plus incongrues qui fussent. Il se tenait, en la circonstance, assis dans un riche fauteuil de l'époque Louis XVI, en plein milieu d'une assemblée bruyante, mains croisées, une légère moue flegmatique figée sur la commissure de ses lèvres et un regard laissant entrevoir un profond mélange de lassitude et d'ennui, cherchant sans succès à faire comprendre à toute sa compagnie quelle longanimité était recquise pour endurer leur présence. Les quelques personnes qui l'entouraient donnaient l'impression de le tancer gravement ; une jeune femme, blottie un peu à l'écart dans un autre fauteuil, pleurait abondamment ; ce déluge lacrymal immodéré me laissait déjà augurer une série d'ennuis à venir.

"- Oh ! C'est vous, jeune Chevalier, remarqua l'un des invités. Je le reconnus : il s'agissait du docteur Mollinard, figure relativement connue et réputée dans les environs ; il avait bon nombre de hautes fréquentations et faisait toujours forte impression dans les rassemblements mondains.
- Ravi de vous voir, docteur, prononçai-je en m'approchant de lui sans même lui tendre la main. Voudriez-vous m'expliquer ce qui se passe, ici ? La gravité de cette situation m'inquiète.
- Ce qui se passe, voyez-vous, c'est que ce jeune Aristide vient de déshonorer cette brave fille ici en larmes. Je m'explique : votre ami a donné, hier, une petite soirée pour célébrer sa récente acquisition de nouvelles terres de récolte. L'ambiance était bonne, la chère était savoureuse et le vin coulait avec profusion. Hélas, la petite, peu accomodée à la boisson, a quelque peu abusé dessus, et s'est bientôt retrouvée grise. Et figurez-vous qu'à un moment, celle-ci s'est même attelée à prendre la main d'Aristide, à l'entraîner dehors et à l'embrasser avec toute la langueur que procure un tel état. Vous imaginez bien que celui-ci n'a rien fait pour empêcher la chose, bien au contraire ! Lorsque nous les avons retrouvés, ceux-ci s'apprêtaient à...à...à forniquer dans un coin obscur du jardin !
- Ah (c'est là tout ce que je trouvai à répondre à ce cher docteur).
- Comme vous pouvez le constater, la petite est désormais traumatisée, après une telle vicissitude, elle qui était encore vierge...dites, Chevalier, vous qui connaissez bien du Bellord, ne voudriez-vous pas le morigéner pour sa conduite irrespectueuse et irresponsable d'hier soir ?"

Je jetai un bref regard en direction de l'accusé ; un courant électrique se forma au moment où nos prunelles se croisèrent. Je pus déceler dans les siennes une exquise finauderie. Son excitation flamboyait à l'idée que je pusse mettre un terme à l'emportement de ces imprudents détracteurs ; ses idées étaient claires, j'allai devoir user de l'habileté rhétorique qui m'était propre afin de nous débarasser de ces gêneurs et de susciter l'amusement d'Aristide. Car bien qu'ayant toutes les capacités recquises pour le faire, celui-ci ne semblait néanmoins pas en avoir l'énergie, et préférait assister en specateur à son procès imaginaire plutôt que de souffrir de régler les choses par son propre pouvoir. Il y a toujours quelque chose d'exultant à voir des personnes s'affronter à cause de nos idées ou de nos opinions. Je toussotai doucement afin de m'éclaircir la voix, à la manière d'un orateur s'apprêtant à entamer un morceau de bravoure ; certes j'étais moi-même enthousiaste à l'idée de discourir à l'encontre des idéaux de ces gens, mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir ce petit aiguillon déplaisant que subissent ceux se préparant à accomplir une tâche aisée, mais sans toutefois que quiconque leur ait demandé leur avis. Je prendrai cet effort en compte, lors des négociations pour le remboursement de mon livre.

"Je pense plutôt, cher docteur, que je vais féliciter ce méchant Aristide, ou du moins lui présenter un demi-compliment. Car voyez-vous, si je partage bien un caractère commun avec lui, c'est le mépris pour cette forme de puritanisme vertueux et hypocrite si chère aux classes bourgeoises depuis le XIXème siècle. Car celle-ci, en plus de s'accompagner d'une morale totalement étriquée et conformiste, ne conduit qu'au plus bas avilissement de notre espèce et à la plus pure négation de nos désirs les plus naturels. Je crois fermement, figurez-vous, en la double postulation consubstantielle à tout être humain, c'est-à-dire la présence de deux versants, l'un bon et l'autre mauvais, que chaque homme doit combler et satisfaire s'il veut réaliser pleinement sa nature. Nier cette double appétance, monsieur, représente pour moi la plus insigne injure à notre nature, ainsi que la plus haute hypocrisie qui puisse exister ici bas. Vous pourrez toujours vivre dans l'austérité la plus stricte, faire preuve de rigorisme pour toutes vos actions et modérer à outrance le moindre de vos désirs, et ce à dessein d'atteindre un idéal de bonheur limpide et sain, vous ne ferez cependant que scléroser votre quête vers ce bonheur ; car il est pour moi établi, et ce de manière irréfutable, qu'il y a en tout homme cette bête sauvage et fauve, terrée dans les limbes de l'âme, qui doit nécessairement être rassasiée afin de se libérer de ce lourd carcan de frustration qui pèse sur le dévôt ou sur l'ascète ; car même s'il possède la raison, l'homme n'en reste pas moins un animal dont les babines frémissent devant la promesse des blandices qu'offre l'existence. Mais ce n'est pas tout : l'homme, étant situé dans un monde déterminé par le temps, l'espace et la causalité, présente un moi labile et changeant, et par conséquent des désirs en constante évolution. Rien n'est donc plus important que la sincérité à soi dans l'instant, et cet idéal de félicité ne dépend que de cela ; la fausseté est déjà bien assez condamnable lorsque l'on en use avec autrui pour que de surcroît, l'on en use avec soi-même, n'est-ce pas ? Ce cher du Bellord m'a paru suivre brillament cette ligne de conduite : si, sur le coup, il ne voyait aucun inconvénient à se plier aux désirs de cette jeune fille, alors pourquoi aurait-il dû s'en priver ? Je vous le demande ! Il ne fit qu'être sincère avec sa nature, sans prendre aucunement compte de toutes ces règles morales si stupides qui encombrent considérablement notre société, si bien qu'il est dorénavant heureux d'avoir joui de ce charmant épisode sans pour autant avoir quelque regret facheux. Quant à la demoiselle, si pour sa part ce n'est pas le cas, que voulez-vous que je puisse dire pour sa défense ? Pensait-elle que sous l'empire de la boisson, la vie apparaîtrait rose, avec des myriades d'oisillons chantant des Te Deum dans un cadre pastoral ? Quelle candeur ! La sphère de l'excès est toute autre ; y pénétrer, c'est évoluer dans la salissure, dans le cloaque, et agir uniquement par cécité et par frénésie. Si elle n'est pas capable de s'introduire dans cette dimension nouvelle sans éprouver ensuite des remords ou de la mésestime pour elle-même, qu'elle aille s'enfermer incessament et cesse définitivement toute pratique de ce genre ; le monde est déjà assez empli de gens incontrôlables comme cela pour que vienne s'y ajouter un nouveau lot de maladroits."

Ma proclamation laissa le petit comité dans l'ahurissement le plus complet. Même la jeune fille prétendument souillée, qui naguère était encore secouée par ses douloureux sanglots, était désormais coi. Tant mieux : cet excès de faiblesse qu'elle affichait ostensiblement lorsque j'entrai dans la pièce était tout ce qu'il y avait de plus écoeurant et de plus désagréable pour moi. Aristide, en ce qui le concernait, semblait franchement s'amuser. Ce fut d'ailleurs lui qui finit par rompre ce silence fétide dans lequel était alors plongée la salle.

"- Je vois ! C'est un singulier point de vue que tu nous présentes là, Romaric. Mais dis-moi, en ce cas, pourquoi ne serait-ce qu'un demi-compliment ?
- Parce qu'elle est terriblement laide, voilà pourquoi, dis-je en toisant du regard l'inconnue qui, la face rubiconde, trônait toujours nigaudement sur son fauteuil. Sur ce, et avec votre permission, continuai-je en me retournant vers l'assemblée, moi et Aristide avons des affaires personnelles à régler, et ce séance tenante. Pour toute autre précision, je serai à vous, mais un autre jour."

Sur ce, je quittai le salon et me dirigeai vers le bureau, laissant à l'hôte le soin de congédier ses invités. Pratiquer les arts rhétoriques pour rabrouer les imbéciles était déjà assez fatiguant comme cela pour que je m'acquitte en plus de ce genre de futilités.

Jeudi 14 mai 2009 à 22:02

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Ayant reçu chacun un carton d'invitation, moi et mon ami décidâmes de nous rendre tous deux au mariage du prince Jean d'Orléans, duc de Vendôme, fils de Monseigneur le comte de Paris, et Philomena de Tornos y Steinhart, aristocrate mêlant origines hispaniques et autrichiennes qui jouissait encore d'une relative jeunesse, bien que les deux mariés présentassent déjà des signes avant-coureurs manifestes de sénescence, comme les prestes caresses salées de la mer finissent par éroder la roche des côtes. Nonobstant les dires du prince, qui désirait que son mariage fût solennel, simple et vrai, il y avait à cette cérémonie un certain faste qui n'était pas sans éveiller en ma conscience les souvenirs fabuleux d'un temps lointain où noblesse et honneur régissaient les coeurs des hommes ; peut-être était-ce dû au fait que nous nous tenions en la place où feu Hugues Capet fonda sa dynastie si pérenne. Ainsi, les figures les plus illustres de la noblesse actuelle, disséminées guère plus qu'en reliquats épars, furent présents à l'événement, tels l'archiduc Lorenz d'Autriche, l'infante Pilar d'Espagne ou encore messeigneurs les ducs de Wurtemberg et de Castro.

De cette manière, le spectacle se présentant à nos yeux était semblable aux aurores boréales et australes telles qu'on peut les observer dans les hémisphères Nord et Sud de notre planète, et résultant du contact interactif entre nos prunelles encore vierges de ces exubérances, particules chargées du vent solaire, et le rayonnement engendré par cette sphère supérieure de la société d'antan, particules chargées quant à elles de la haute atmosphère ; les costumes, les mets servis, le cadre offert par la ville de Senlis, les fleurs de lys piquées sur les redingotes au niveau du coeur, l'exaltation des badauds, tous ces détails réunis étaient tant de voiles éthérés et lumineux s'amalgamant dans une danse sereine au sein du firmament septentrional, teinté alors d'une lueur de jade. Absolument tout ici symbolisait tacitement la puissance et l'opulence, en dépit de la désuétude dans laquelle était tombée la condition noble depuis l'avènement de l'éphémère seconde République. Les invités avaient sorti pour l'occasion leurs meilleurs costumes, aux tissus les plus riches et aux couleurs les plus miroitantes et variées. Les femmes arboraient robes et tenues spécialement composées pour ce jour, avec une diversité ahurissante d'éléments et d'étoffes, allant de la simple soie aux fourrures de zibeline et de vison. Néanmoins, abstraction faite de toutes ces parures et tous ces ornements, je ne pus empêcher une idée lapidaire de traverser mon esprit : ces gens étaient laids. Cette laideur différait tout de même en fonction des sexes : l'hideur mâle se manifestait particulièrement par des bajoues flottantes, des traits glacials et figés, des dents saillantes, des nez boursouflés et des airs inquiétants mêlant vide spirituel et autisme, tandis que l'hideur femelle était bien plus caractérisée par d'amples et carnassières machoires, des yeux exorbités et porçins, des fronts grossiers et démesurés et des pommettes palpitant aussi intensément qu'un coeur chaud de venaison - sans compter les quantités outrancières de fonds de teint, de mascarats et autres maquillages artificiels usités exclusivement par les femmes. La consanguinité empestait l'air, et ses exhalaisons emplissaient mes narines par flots entiers. La nausée me prit ; ce n'était plus cette somptueuse aurore boréale qui se dressait sous mes yeux, mais un festival d'insectes exotiques. Des coléoptères à la carapace irisée et aux élytres mordorés en passant par d'autres lépidoptères aux ailes chamarrées de dentelles et d'argent, toute la population du microcosme tropical était ici présente. Ils étaient beaux, ils possédaient même beaucoup plus de richesses que ne me le permettait ma condition de jeune chevalier, mais ils n'en restaient pas moins insectes. Au beau milieu de ce salmigondis grouillant, une serveuse s'avanca vers moi, portant à sa main droite un plateau empli de coupes.

"- Vous prendrez bien une coupe de champagne, monseigneur ? demanda-t-elle mécaniquement.

- Très volontiers."

Après tout, les fines bulles alcoolisées parviendraient peut-être à amenuiser l'extrême lassitude dans laquelle je commençais à sombrer ; il n'en fut rien. Résigné à subir silencieusement ce vague à l'âme, je me pris à imaginer la réaction de la tourbe lorsque la presse nationale exposerait aux yeux de tous ce grand événement. Il n'était pas malaisé de conçevoir le dédain et le mépris généralisés qui en résulteraient. "Mais qui se soucie donc des actions de ces castes archaïques et du mariage d'un soi-disant prétendant à la couronne de France ?", se demanderaient-ils. "Et le système des privilèges n'a-t-il d'ailleurs pas été aboli il y a longtemps ? Ils existent donc encore, ces misérables nobles ? Quelle honte !", ajouteraient même les plus hautains. Une réaction légitime, de la part de toutes ces consciences qui avaient mûries et grandies dans les champs cultivés et labourés par l'idéal républicain. Telle est l'illusion républicaine : faire croire à tous les hommes qu'ils sont strictement égaux, qu'ils valent tous quelque chose pour eux-mêmes, que par conséquent tous se soucient de leur avis en toutes situations. Un idéal honorable ! Ainsi, considérant que chaque homme se croit toujours meilleur que tout autre en termes de sagesse et de tempérance, et de fait qu'ils ne supportent pas de savoir que d'autres soient expressément plus hauts placés, ce système potilique tombait fort à propos. Par cette occasion, l'égoïsme de chacun est satisfait, étant assuré que nul ne pourra manifestement se détacher du reste de la multitude, en raison de cette belle égalité garantie entre tous. Au fond, cela pourrait être défendable : chaque être humain n'est après tout qu'un amas de chair en déliquescence permanente voué à périr au terme d'une existence riche en déceptions. Ces pensées omettent néanmoins le fait que l'humain n'est point réductible à un tas de tissus et d'os ; au contraire, il possède l'esprit, cette force supérieure lui permettant de s'édifier ou de se tenir à l'écart des miasmes morbides. Et étant donné que certains cultivent bien plus cette divine faculté que d'autres, par un processus d'efforts et de travaux longs et pénibles, il est tout à fait juste que d'affirmer que ceux-ci méritent le statut d'élite, faisant d'eux des hommes bien plus à même que quiconque de commander, d'ordonner ou d'éclairer. Et de la même manière, il est tout à fait justifiable que le pusillanime, préférant s'adonner à la paresse et aux plaisirs faciles à longueur de journée, trouvant plus de jouissance à dévorer les déjections que proposent les prétendus artistes à grand public plutôt que de rechercher les perles noires que recèle l'Histoire des arts, soit relégués à un rang plus bas, aux côtés de tous les autres hommes agissant similairement. Mais de telles pratiques feraient horreur au grand Sphinx républicain ; cela lézarderait son visage si lisse et fendrait ses griffes si acérées. Dorénavant, quiconque prône la différence se voit imputé soit d'extrémisme, soit de racisme. Affirmer des dissemblances de physionomie entre hommes de peuplades opposées est tout à fait vrai, comme la présence d'un muscle supplémentaire chez les noirs ou des yeux plissés chez les asiatiques ; mais car ces assertions expriment des dissimilitudes entre ces êtres naturellement "libres et égaux", elles sont forcément racistes. La République, dans son désir d'unifier l'ensemble du peuple en une seule et même volonté générale, dans son objectif de proposer des lois équitables pour chacun de ses citoyens, est devenue le régime du conformisme, de la médiocrité et de la haine du différent et de l'antédiluvien. Elle est le symbole d'une espèce vivante refusant par égoïsme toute potentialité de voir quelqu'un devenir manifestement supérieur, et plaçant son avenir entre les mains du meilleur rhéteur. Celui qui parvient à adoucir les oreilles du peuple et à faire les plus belles promesses, celui-là seul pourra prendre la tête de l'Etat. La hâblerie a remplacé la compétence. Ce n'est désormais plus qu'une question d'années avant qu'une nouvelle révolution vienne frapper le pays ; et étant donné l'accroissement de la violence et de la haine du pouvoir chez les masses populaires, celle-ci se fera, sans aucun doute permis, dans le feu et le sang. Oui, je vois à l'horizon se profiler ce nouvel Enfer, ce futur holocauste qui mettra un terme à ce régime valétudinaire ; mais pour le remplacer par quoi ?...

Mardi 7 avril 2009 à 17:11

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Cette nuit-là, c'était D. - l'une des nombreuses amantes que je conservais sous ma tutelle - qui me tenait compagnie dans le grand lit à baldaquin, dont la couverture de pourpre était ornementée de motifs fins et dorés. Celle-ci avait des formes si merveilleuses, un minois si ravissant, une carnation si limpide et des gestes si fluides et sensuels pour son âge qu'elle occupait, sans nul doute permis, la position de favorite au sein de la pléiade de femmes qui s'employait à me divertir. A dire vrai, lorsqu'il m'arrivait de la trouver, séante au beau milieu de ses amies, toutes plongées dans des débats passionnés ou d'ingénus éclats de rire, il m'arrivait de perçevoir en elle la seule présence pure et l'unique incarnation spirituelle dans une substance réelle, comme si les autres n'étaient, en comparaison, que les débris fragmentés et valétudinaires d'un réel infiniment prosaïque. Pourtant, cette nuit-là, son charme n'opéra point ; chose étonnante, car, qui plus est, Dieu sait si D. avait lors de ce genre d'ébats la pugnacité d'une Atalante et l'ardeur surhumaine d'une Médée. Ainsi, chevauchant mon priape dans des gestes amples et irréels, elle s'appliquait à m'envoûter à l'aide d'ahanements languides et d'incessantes caresses sur les endroits les plus sensibles de l'humaine anatomie. Puis, se courbant vers l'avant, elle entama de véhéments baisers et s'employa à me mordiller l'oreille droite, tout comme on s'emploie à dilacérer les pétales d'une narcisse. Enfin, cambrant son corps, elle reprit sa cavalcade luxurieuse et m'offrit de nouveau la contemplation de la mature efflorescence de son buste, de ses épaules délicates et des rebonds rythmés de sa poitrine, sur laquelle se formaient timidement quelques opales de sueur. Le rythme s'accéléra, pareillement aux montées en puissance lors des grands opéras. Les halètements se firent plus forts et plus systématiques. Tous les membres se crispèrent. Et vînt le coït. Cela mit un terme à ses efforts assidûment maintenus. Cependant, la même mélancolie demeura profondément fixée en moi, et ce ne furent que quelques pardons marmottées - mais bien sincères - qui accueillirent la jeune femme une fois les ébattement achevés, afin d'excuser tant que possible mon état lymphatique. Légitimement vexée, celle-ci esquissa une moue cardinale avant de se lever, toujours dans sa plus splendide nudité ; elle eût voulu échanger quelques paroles avec ses amies, mais incertaine que ces dernières fussent encore éveillées, elle s'empara d'un livre dans l'une de mes étagères, s'assis dans un épais fauteuil et entama sa lecture. Ne trouvant rien à redire à la jeune beauté - je ne désirais d'ailleurs pas la déranger dans son activité - et n'ayant pas encore la force de m'endormir, je décidai de me lever également, enfilai quelques vêtements légers et sortis de la chambre.

Je m'engageai dans le vaste couloir reliant à l'extérieur. Ce couloir avait pour deuxième fonction de servir en tant que galerie de portraits, représentant chaque membre - féminin comme masculin - de ma noble famille, certains des tableaux allant même jusqu'à remonter aux tréfonds du XVème siècle. C'était toujours une expérience particulière que de progresser entre ces deux immenses pans de murs, surveillé par l'oeil inquisiteur de la totalité de nos ancêtres ; chemin prenant parfois l'allure de voyage à travers le temps, tellement les différences étaient manifestes au fur et à mesure que l'on évoluait dans ce couloir. Assurément au niveau des hommes, l'on eût dit un processus graduel d'effemination des générations, comme si contenir quelques germes féminins supplémentaires était, pour la géniture, une qualité inhérente et atavique. De fait, les aînés de notre lignée affichaient des épaules encore massives, des barbes ou des favoris drus, des visages parfois couverts de balafres et des yeux emplis des foudres de Jupiter ; des êtres conséquemment comparables aux plus grands rois-guerriers qui vécurent encore il y a quelques siècles. Mais peu à peu, une dégénérescence suppurante prit possession de leurs successeurs. Certains, couverts de fard et grotesquement emperruqués, les traits aussi délicats que ceux d'une adolescente nubile, présentaient une carrure similaire aux plus frêles éphèbes athéniens. D'autres, s'étant enlisés dans la plus paresseuse oisiveté et ayant délaissé tous les bienfaits et les honneurs de la chasse, des voyages et des duels, exposaient une obésité honteuse et disgracieuse, habituellement réservée aux plébéiens. L'abolition de tous les privilèges anciennement octroyés aux représentants de la noblesse, le 4 août de l'an de grâce 1789, acheva notre incurable ruine. Je restai longtemps à examiner cette longue galerie. Elle raviva en moi la nostalgie d'un temps passé, la nostalgie d'un temps que je n'avais jamais connu, et duquel mon imagination seule, dans ses élans séminaux, pouvait me procurer une idée. Cette insondable amertume se jumela avec ma géhenne initiale ; toutes deux se compénétrèrent si aisément que j'en eus un vertige, et que je dus m'adosser du portrait de la neuvième femme - à moins que ce ne fusse la dixième ? - de notre lignée, et ce durant un temps indéfini. Une fois mes facultés pleinement recouvrées, reprenant mon équilibre, je pus poursuivre péniblement mon chemin.

Au terme de cette procession solitaire, je finis enfin par arriver au balcon. Celui-ci offrait une vue imprenable sur l'ensemble des jardins répartis dans la cour du château, et permettait même un champ de vision englobant une partie des montagnes visibles vers le levant. De longs doigts commencèrent à en recouvrir les somments, et ces doigts flavescents aux miroitements grenats n'étaient autres que ceux de l'aube encore somnolante. C'eût été un réel plaisir que de prendre place sur le parapet pour assister aux premières loges à ce spectacle, tout en fumant une cigarette ; mais à peine eus-je inséré cette dernière dans mon porte-cigarette qu'un sanglot incontrôlé me fit ouvrir la bouche. L'élégant tube doré chut sur la pierre entre mes deux cuisses, et fut bientôt humidifié par un crachin lacrymal. Ma poitrine enflée et brûlante était secouée de violents sanglots, et malgré mes efforts, mes quelques plaintes étouffées résonnèrent dans l'air frais du matin. Je pleurais, oui ! Mais mes raisons n'étaient-elle pas compréhensibles ? Toujours j'ai vagabondé dans les cafés, fumoirs et espaces mondains, toujours j'ai cherché à m'enamourer des femmes qui présentaient les meilleurs attraits ; longue et laborieuse quête des délices charnels. Mais cette quête n'était prétexte que pour pallier un manque, un manque bien tangible et présent, un manque présent en moi-même, où le contenant eût été illégitimement privé du contenu qui le faisait réellement vivre, et non seulement exister. Car aucune de ces femmes, pas une seule, si magnifique fusse-t-elle, ne pourra jamais parvenir à oblitérer ce néant négatif, cette mâchoire d'ombre ; la toute première fille. B. Dans chaque groupe de femmes que j'observais, je ne voyais inconsciemment qu'elle ; à chaque fois que je tentais d'effectuer un portrait physique, ce n'était qu'en me basant sur son référentiel ; dès que j'exaltais les splendeurs ou les vertus d'une dame, ce n'était que pour mieux raviver les siennes ; enfin, lorsque je coïtais, chaudement blotti dans les bras d'une telle et noyant toute mon ivresse dans ses embrassades, ce n'était que pour permettre involontairement la résurgence de son image, de son visage en face du mien, de la fragrance de son parfum. J'en connus de plus belles, à l'instar de L., de D. ou encore de Z. Mais aucune ne saurait jamais remplacer ce qu'elle m'offrit, aucune n'aurait jamais l'occasion de me sussurer ce premier "je t'aime" dont les amants du monde se gratifient continuellement, aucune ne pourrait me refaire goûter et partager ces premières expériences, ces premiers instants, ces premiers dons si impressionnants et maladroits de prime abord, mais qui finalement se révèlent toujours être les plus purs instants épiphaniques d'émotion et de plénitude de notre existence ; les plus purs - et trop rares - moments de vie. Et je sanglotais, car enfin je me rendis compte que ces fragments du Temps étaient définitivement révolus, et que jamais plus je ne pourrais les éprouver, que dorénavant ils n'auront plus d'existence précaire que dans ma mémoire ; que somme toute, quand bien même j'eusse pu revenir en arrière pour revivre derechef ces moments fugaces, la sensation eût été infiniment moins intense que lors de la première fois. Car il s'agissait justement des premières fois, cela excluait nécessairement toute espérance de jouissance analogue postérieure, et ce de manière définitive.

Je me souvins alors de ces quelques paroles du grand dramaturge espagnol Calderon qui disait, dans une pièce dont le nom m'échappait alors, que le plus grand crime de l'homme, c'était d'être né. Ah, l'ultime bastion de la franchise et de la clairvoyance qui s'oppose aux houles de la pudibonderie ! Car finalement je n'étais, comme tout autre, qu'une âme brisée expiant tout au long de son incarnation matérielle son originel péché, à elle et au reste indéfini des âmes humaines : le péché d'être venu au monde, le crime de l'existence.

(Remerciements indirects à Proust, Schopenhauer, Calderon et Huysmans, sans qui cela n'aurait jamais existé tel quel.)

Samedi 7 mars 2009 à 22:01

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"Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve."

Stéphane Mallarmé.

Jeudi 5 mars 2009 à 15:34













 
 
 
 
 

 
Blood crawls through the night holes
Blood sprawls across the walls
Blood crawls up and hassles
Blood sprawls across the walls

We've all seen tomorrow
and there's truth to what they say
Demons may be hiding in our shadows

Blood crawls across the cancer
Blood sprawls across the shore
Blood crawls up and hassles
Blood sprawls across the walls

We've all seen tomorrow
and there's truth to what they say
Demons may be hiding in our shadows
Let your time shine
Queens will play

We've all seen tomorrow
and there's truth to what they say
Demons may be hiding in our shadows
Let your time shine
Queens

will


play


Queens Will Play, Black Mountain
 

Lundi 23 février 2009 à 18:53

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Aldébaran regardait toujours.

J'ai fait l'amour avec un cadavre. Ses os craquaient comme les branches d'un arbre dénudé sous les caresses d'Hélios. Sous cette sérénade, je couvrai de mille baisers sa chair bleuie ; c'est l'Eternité qui s'offrait à mes lèvres. Bal macabre et étouffant, où les viandes encore palpitantes s'amalgament aux vers et aux tissus putréfiés. Puis la Mort dura quelques secondes, le temps que l'âme se cambre et s'arrache partiellement à la coquille charnelle. Bouche qui dégorge des aurores boréales et les soupirs du ponant. Je retire mon pied de la tombe, quitte ces draps de marbre et viens porter mes lèvres au Graäl chtonien de la mélancolie ; que ne goûté-je chaque nectar et chaque suavité concevables, nul n'abolira jamais la perte de cette deuxième naissance.

Les glaciers mugissent au sein de l'Enfer. Essaims aux dards pellucides qui pénètrent par chaque pore jusqu'à la moëlle. Je suis l'Enée solitaire qui, tournant le dos aux chauds gémissements de sa Troie maculée, fixe depuis le rivage aux embruns fuyants les promesses éthéréennes des cieux vides. Carthage brûle à la surface du soleil, et les ventrailles d'Albe sont becquetées par le rapace des sept collines. Créüse fustigée achève ses ultimes spasmes et vient s'égarer dans les brumes ; l'amour est un fléau car son envergure illimitée ne peut se recroqueviller dans les bornes de l'existence humaine. J'aime l'amour comme j'aime le cliquetis des chaînes, la moisissure des geôles et la géhenne de la roue d'Ixion. Le sanctuaire était loin mais il m'appelait encore ; j'y parvins.

Un peintre se dressait au milieu de l'ample pièce, les yeux purpurins et gonflés, les lèvres tremblottantes, le teint d'une couleur exsangue. Devant lui s'élevaient des vitraux démesurés où des Cupidons gracieux et callipyges déchiraient leurs toges nivéennes et se frappaient la poitrine de leurs poings mignons. Le rapin, agité d'un transport convulsif, mélangeait confusément ses couleurs, puis donnait d'imprécis coups de brosse dans les airs, laissant s'échapper des volutes chatoyantes qui voltaient et ondoyaient au travers de la salle ; il cherchait à peindre les siècles. Dieu créa les lois de nature et ses infinies manifestations en six jour et se reposa le septième ; mais bien souvent l'on oublie de préciser qu'il modela l'art de manière médiate dans le cerveau humain. Le virtuose est Un et il est Dieu, et sa pratique est le cri de l'éblouissement et de l'extase devant lesquels l'homme ploie et succombe.

Un carnet poudroyant reposait aux côtés du fol artiste ; un de ces carnets rigides et céruléens où les écrivains inscrivent le poids des Âges et révèlent l'éternité de leur âme à leurs choyés lecteurs. En le saisissant, la couverture vermoulue se décomposa sous le contact hésitant de mes doigts transis ; de gros morceaux chûtèrent parmi l'éboulis de poussière diaphane. Ces débris jonchants sur le sol n'apparaissaient non plus comme un amoncellement ruineux, mais bien comme une collection d'onyx, de lapis-lazuli et d'agates. Voilà des années de méditations extatiques qui s'en retournaient dans le gouffre vide ; du néant originel et fondateur elles s'en retournaient au néant, froid, nu, immense. Des quelques pages lépreuses qui résistaient encore, je pus lire ces quelques notes :

"L'humus coagulé sur lequel j'évoluais était si solide et si noir que la flamberge d'Héphaïstos, la frappant avec fureur, se fusse brisée. De la croûte de ce sol s'exsudaient, telles de bouillonnantes irruptions, de flasques jets purulents ; cette sanie tellurique se répandait mollement à travers les anfractuosités du terrain et finissait par durcir, formant une surface grumeleuse et légèrement translucide, d'un aspect abominable et d'une fragrance repoussante. Au sommet d'une gibbosité proche, je pus voir saillir fièrement un ancien cromlech dont les âges avaient recouvert les parois de stigmates ; je te salue, antique balafré, gardien immémorial de ces plaines souillées ! En tes alentours fleurirent les sabbats de sorcières et de kobolds, comme fleurissent l'indifférence et la cupidité dans les sociétés humaines. Bientôt j'aperçus de troglodytes antichambres, que les falaises de pierre rongées avaient accueillies en leur sein. Une eau de roche, remontée des entrailles profondes de l'orbe terrestre, suintait le long des murs et perlait sur le sol ; dans le voile de silence apposé par la pénombre, le fracas de leur écrasement jaillissait avec la vivacité d'un crotale, rebondissait sur les parois, jaillissait de toute part et venait se perdre dans le cosmos lors d'une ultime course désespérée. Tel était le lieu où l'on entendait sourdre les harangues de Perséphone."

Lassé de ces spectacles, je fis quémander le bilieux Charon, fils d'Erèbe et de Nyx, qui m'attendit les membres figés sous le manteau de sa génitrice. Des troupeaux d'ectoplasmes l'accompagnaient et firent résonner dans ma vaste prison leurs plaintes stridentes. Je pris place près du nocher encagoulé, et nous partîmes ; le salmigondis d'esprits apatrides suivit, en laissant derrière lui un sillage de sang, de pus et d'étrons. Nous traversâmes le Styx aux aigres venins, le Phlégéton aux ardentes oriflammes - où nous croisâmes Phlégyas -, l'Achéron plat et silencieux, le Cocyte aux flots salés et le Léthé huileux avant d'arriver au marais central. Deux ombres me déposèrent à sa surface, et je m'y laissai sombrer lentement, paupières closes et membres étendus.

Loin des clartés

Insupportables des

Forfanteries et fanfaronnades plébéiennes -

Trimalcyon -

Ô fatuités écoeurantes

Existence sans vie

Ici

Accalmie balsamique

Couche tiède des limbes

Et ossuaires

Protecteurs

Aucune jouissance aucune

Euphorie

Venin apocryphe

Seulement la paix

Libératrice

Inhumaine

Seulement la

Paix.

Mercredi 4 février 2009 à 20:55

http://ulfhednar-poilous.cowblog.fr/images/concert19fev.jpg



























Je profite tout d'abord de cet article pour faire un peu de publicité (car tel le Julien Sorel de Stendhal, je suis un opportuniste). A ceux qui voudraient voir mon groupe officier dans les jours qui suivent, suivez les indications prodiguées par ce petit flyer que je daigne (!!) mettre ici. Notez cependant que DEVAST, le groupe de Brutal Death Algérien, sera remplacé par BAPTIZED IN VAGINAL LIQUID, groupe Grindcore bien de chez nous. Maintenant, un peu de lyrisme ; savourez le chez-d'oeuvre que je mets ici en ligne, fraichement écrit (en cours de géo) avec l'aide de ****** (il renie y avoir participé), pastiche des Liaisons Dangereuses pleine de passion et de sincérité.

 
52. DU VICOMTE DE BRISTOT A LA PRESIDENTE DE RONCERAY.

Vous me défendez, Madame, de vous parler de mon amour ; mais où trouver le courage nécessaire pour vous obéir ? Perclus au fond de cette classe abominable qui devrait être si douce, mais que les bacchanales géographiques rendent si morne ; languissant aux côtés d'un si grand génie (d'un émo au pull rayé) ; ne vivant que d'eau et de Blédichef ; en proie à une envie d'uriner débordante d'autant plus douloureuse que mon ithyphalle est fort roide ; me faudra-t-il perdre la seule consolation qui me reste ? et puis-je en avoir d'autre, que de vous enfoncer mes encriers enténébrés dans votre trompe de phaloppe ? Détournerez-vous votre fesse, pour ne pas qu'elle soit souillée par les torrents de smegma qui m'assaillent ? Et refuserez-vous jusqu'à l'hommage de mon prépuce lymphatique sur vos bellâtres boozums ?
 
"Les seins si lourds, de trop d'amour."
                                                S.REGGIANI
"La côterie s'effeuillait sous la pluie comme des phallus décalottés montés en série."
                                                        BENEDICTUS Ier

Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre âme honnête et douce, de plaindre un malheureux, qui ne l'est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une défense à la fois injuste et rigoureuse ?
Vous feignez de craindre l'amour, lui qui pèse sur mon être à la vue de vos mamelles démesurées et fruitées, aux pinacles enduits de chocolat Poulain. Ah ! sans doute, ce sentiment est pénible, quand l'objet qui l'inspire.

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