Dimanche 28 décembre 2008 à 19:28

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"- Monseigneur ! C'est une joie que de vous trouver ici ! Permettez que je me seye quelques instants à votre côté... cette chaise fera parfaitement l'affaire.

- Oui-da, très cher, prenez vos aises, il n'est pas coutume que l'on vous voit baguenauder dans de pareils endroits ! Mais qu'est ce que c'est que cette mine ? Vous êtes atroce à voir, vous dont le teint est habituellement si frais et l'oeil si preste ! Tenez, souffrez donc que je vous fasse mander une bouteille de vin, je peux bien me permettre de m'attarder un peu dans ces lieux.

- Je vous remercie sincérement de votre condescendance ; nombreux sont ceux qui aimeraient goûter de telles manières. Vous m'accompagnerez bien au grand opéra, après cette prompte escale ? On y joue actuellement du Pachelbel, ainsi que quelques oeuvres de Palestrina...

- Fort bien. Mais en patientant, contez-moi donc l'objet de votre affliction ! Je suis tout même bien curieux de savoir ce qui vous met dans de tels états. Allons, allons, prenez vos aises. Tenez, tendez-moi votre verre que je vous serve ; il n'est pas de la première qualité, mais c'est loin d'être une picrate ! Cela convient ? Bien, je vous laisse commencer.

- L'espèce affable à laquelle vous appartenez tend malheureusement à se péricliter, en ces fades périodes. Eh bien, voyez-vous, la nuit dernière, tandis que d'âpres ombres s'étendaient le long de mes murs en tremblotant à l'instar de rongeurs craintifs, je fis un songe bien étrange. Je me trouvais dans un lit - lequel, je l'ignore totalement - et à chacun de mes flancs reposait une femme. Il m'incombe de signaler que je les connais toutes deux - je vous épargnerai les présentations, cela ne vous serait d'aucun profit - et pour ne point mentir, j'éprouve une certaine dilection à leur égard. M. et M. Elles se tenaient là, dans la tiédeur de mes draps, rayonnant d'un même éclat divin et invulnérable, comme lorsque deux beautés sporadiques se rencontrent et, s'amalgamant, donnent plus d'intensité encore à leur splendeur originelle. Mon être tout entier, galvanisé par ces deux pôles, était comme déchiré dans une frénésie indomptable. Tantôt j'allais me blottir contre l'une, quémandant ses caresses et ses blandices, tantôt j'allais enlacer l'autre, brûlant de ce feu intérieur qui consumait jusqu'à la moëlle de mes os. Mon sang bouillonnait, mes organes crépitaient, c'était comme si des Titans affamés me faisaient cuire sur un fourneau monumental ! Mais ces deux beautés avec qui je partageais la couche solidarisaient un autre attribut commun : l'inaccessibilité. En effet, j'avais beau m'ingénier de toutes les sortes, me répandre en douces paroles et embrasser leurs corps de la manière la plus délicate et lascive imaginable, elles conservaient cette même attitude marmoréenne, cette même moue indolente figée sur leurs visages dont la tranquillité m'évoquaient - pour employer les termes des poètes antiques - les grandes plaines pélagiques, et repoussaient incessament mes assauts les plus aventureux, comme si un simple contact avec leurs chairs relevaient d'un honneur pontifical ou d'une bénédiction réservée aux semi-dieux ! Car il y avait un je-ne-sais-quoi de céleste qui enluminait ces deux corps, ce petit quelque chose de hiératique qui interdisait à une âme profane et obscène d'en goûter les délices ; une âme telle que la mienne. Puis elles finirent par se lever, quittant leur sanctuaire moelleux ainsi souillé, et disparurent sans m'informer du lieu auquel elles se rendaient. Je me réveillai peu après, et depuis, je n'ai eu cesse de penser à elles ; elles, déjà si intouchables dans cette haïssable réalité, et qui le deviennent également dans le royaume des songes !

 

- Voilà un rêve dont beaucoup de psychanalystes se feraient une délectation. Allons, mon brave, reprenez un peu d'ardeur et ne vous laissez pas démoraliser par ce qui ne fut qu'un songe ! Voyez donc tous ces jeunes gens qui, dans leur veulerie et leur lâcheté, abandonnent bêtement les difficultés du monde réel pour se réfugier dans leurs contrées oniriques et limpides ; assurément, lorsque leurs jambes seront pétrifiées dans ce cloaque féérique, le retour à la réalité risque de leur être fatal. Chacun dispose d'assez de forces pour affronter ce monde, il suffit de trouver en soi assez de courage. Quant à votre fringale, ne la laissez donc pas gangréner votre existence déjà bien fugace comme tous ces jeunes éphèbes inconscients, buveurs d'idylles et traqueurs de chimères, qui s'enamourent versatilement pour la première femme venue. Schopenhauer ne disait-il pas que le monde était représentation ? Ce n'est pas tant de leur être véritable dont on s'éprend que des représentations fantaisistes que l'on se fait d'elles, nous et nos aspirations romantiques si grossières et fallacieuses ! Et puis, nous savons tous, au fond, quelle réalité si plate et animale est masquée par ces désirs démesurés. Mais nous n'avons que trop traîné, votre représentation va bientôt débuter, et je ne voudrais en aucun cas vous retarder ! Ne jouera-t-on pas un concerto de Brahms, prochainement ? Si oui, je serais heureux que vous m'y fassiez don de votre compagnie, mon bon ami. Cela nous divertira..."

 

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